Publié le par Hélène R. dans les rubriques Dérivations existentielles, Prose

Fonds d’âme mental

Le vase est vide et je me laisse aspirer, glisser le long de la paroi du bec, les bras tendus vers ce que l’on croise tout le temps mais qu’on a oublié d’admirer la première fois. Je touche le fond, j’éternue, et j’entends autour le bruit qui résonne et s’enfuit lentement, et je vois autour un mur circulaire transparent au travers duquel je suis spectatrice de ma vie. À l’intérieur il n’y a pas grand-chose à faire pour s’occuper, à part toucher le verre et attendre que quelqu’un se présente, quelqu’un qu’on connaît bien, un ami par exemple. Mais hors du vase, il n’y a rien que le monde inconnu effrayant et pénible des autres et de leur vase plein pour la plupart, et de leurs certitudes et de leurs cauchemars et de leur monde intérieur définitif. Je les imagine froids dehors en train d’errer en direction du sommeil, peut-être soûls, peut-être un peu défoncés, peut-être encore un peu plus accablés par leur solitude, je les vois comme je me vois moi dans le reflet de la vitre. Et soudain dans le vase, germent des morceaux de souvenirs de mon ancienne vie. Je ferme les yeux, je les ouvre, ils sont là. Les couleurs et les odeurs sont là, et je peux même sentir dans mon ventre la chaleur de l’amour, l’aigreur de la folie, et j’associe les pans de mémoire écorchée aux aventures fantastiques, mais d’une jeunesse parfois esseulée. Dans le vase se dessinent un parcours, des années, des valises, des remorques pleines de temps perdu, et l’air vient à manquer. Ces souvenirs, c’est ce que je connais, c’est ce que je sais qui est vrai, c’est ce que je crois qui est vrai. De nouveau je me colle le visage à la vitre, histoire d’apercevoir un ami. Je scrute l’horizon qui m’entoure mais je ne vois que les images de mon corps et des meubles qui se sont installés, il n’y a plus que des ombres qui traversent l’extérieur en courant, à peine visibles, à peine présentes. Je ne les vois plus, je ne respire plus, doucement je m’envole soulevée par la triste musique, j’abaisse les paupières, je m’abandonne au drame. Du sommet du vase, j’expie mes fautes par centaines et je pleure assise immobile désarmée, moi qui croyait comprendre, je n’arrive plus à associer les faits tant le nombre grandit et tant la tâche est grande. Je ne fais plus rien, je théorise dans mon lit, dans mon bain, dans le métro et nulle part d’autre puisque je n’y vais pas, je me tue. Je vieillis. Je me jette dans le vide, le vase est vide de nouveau, j’entends l’écho de mes os cassés s’éloigner, assise au centre du cercle j’aspire par bouffées gourmandes, je perds la notion du correct, j’oublie le sens de la vie. En tailleur ou les jambes écartées, j’observe à travers la vitre le cours de temps que je n’avais jamais rencontré, des gens jamais imaginés, je découvre, je me tais. Je m’applique à ne négliger ni la joie, ni le fracas destructeur de la déception, ni la peine, ni la quiétude silencieuse des rêves éveillés, je m’engage à apprendre des maux comme des frissons de peau. J’optimise, j’organise, je déloge les leçons des livres poussiéreux et je dis que maintenant j’ai compris c’est ainsi, je me trompe mais je n’apprends plus guère, je m’endors. J’enrage. Plus rien ne se déroule de travers, mes yeux débordent en vain, je suis lasse, je ne sais plus pourquoi j’ai peur, je ne sais plus quoi faire, quel livre lire, quelle pensée adopter, je suis piégée. Alors je livre dans le vase un maillet. J’empoigne le long manche en bois, je prends mon élan et je tire, je massacre, je réduis en bouillie. Je pose un pied dehors, je respire. Je réduis en bouillie, je respire