Publié le par Hélène R. dans les rubriques Amour, Dérivations existentielles, Poésie, Prose

Amplifions

Lorsqu’il se présente à moi, c’est à peine si je retiens son nom ; peut-être est-il beau, je ne sais pas, je ne le regarde pas, et quand il me parle de sa vie je peine à dissimuler ma lassitude grandissante, parce qu’il n’exprime que des choses déjà trop entendues, décrivant son parcours non pas comme la matière d’un vécu en cours, mais comme une prouesse inégalable supposée me rendre admirative, excitée, envieuse, son discours mécanique il a dû l’exposer bien des fois devant des filles naïves ou juste un peu paumées, et il a vu dans mes yeux clairs que j’étais de celles-là, mais je ne suis pas que ça.

Moi aussi j’ai gagné des batailles, j’ai fait preuve de courage et d’une grande honnêteté, moi aussi j’aime mes amis à en crever même si trop souvent avec eux je bois. Moi aussi j’ai souffert un jour au point de vouloir en finir, et de cette douleur quand je m’en souviens, je n’ai qu’une peur c’est qu’elle revienne me hanter. Moi aussi j’ai aimé une personne sans comprendre pourquoi ni comment nous pouvions nous sentir aussi liés. Moi aussi j’ai pleuré devant l’art ou la beauté des mots, parfois même sans objet, simplement face au monde. Moi aussi j’ai perdu mon temps précieux à penser au lieu de faire, je me suis trouvé tant d’excuses tout ça parce que je pensais qu’il valait mieux se cacher et attendre que ça passe, mais rien ne se passe immobile dans le noir.

Et moi aussi je suis face à toi et je m’ennuie parce que ce qui se dit ce soir n’a rien à voir avec la vie.

On pourrait tout de suite se dire qu’on s’aime, et voir où ça nous mène.

On pourrait aussi bien se quitter et passer à demain.

Mais pitié arrêtons ce flirt d’alcooliques en manque, ne parlons pas de sexe comme si nous étions des experts un peu pervers, ne prononçons plus les mots « baiser », « bite », barbares, apprenons l’un de l’autre au lieu de régresser, de stagner.

J’ai envie qu’on s’écoute vraiment parler, entre les mots, j’ai envie qu’on s’en aille à la mer, sans réfléchir, juste parce qu’ici c’est trop bruyant. Je sais que je t’en demande beaucoup mais en même temps qu’est-ce que ça vaudrait si c’était peu ? T’en as pas marre toi, qu’on te propose toujours les mêmes choses, les mêmes gestes, et qu’on ne te promettes jamais rien. Quand je te regarde me regarder j’imagine que toi et moi on pourrais rendre nos vies meilleures, qu’on pourrait les éveiller de sursauts, je pense aux routes qu’on pourrait parcourir et à la force qu’on pourrait s’insuffler. Si on s’autorisait à se connaître plus en nuances, dans les fissures, on verrait que l’amour ça vaut la peine d’être vécu mais qu’il faut s’y mettre dès maintenant, que plus tu attends plus ça meurt et qu’après on s’oublie. Je te jure je ne te raconte pas n’importe quoi parce que j’ai bu, je te prédis que si on baise on ne se reverra plus et que tu sortiras le lendemain pour te soûler avec une nouvelle inconnue. Regarde-moi j’ai tant à dire mais pas suffisamment d’une nuit pour tout t’expliquer, regarde-moi droit dans les yeux sans réfléchir à ce à quoi je ressemblerais si j’étais nue, convaincs-toi que je suis belle, je suis belle, tu es beau, et nous serions grandioses ensemble, il faudrait seulement dépasser ces confessions malhonnêtes et ces regards menteurs, se lever de nos chaises et laisser là nos verres et la fumée des cigarettes, juste nous enfuir dans les rues désertées, parler dans le vague et rire beaucoup. Est-ce qu’on ne peut pas se lire sans les mots, juste vouloir se retenir le plus longtemps possible dans le regard, regarde-moi j’ai vécu moi aussi et je sais que tu ferais mieux d’être sûr que ce dont tu as envie c’est d’être aimé parce que c’est tout ce que j’ai à te donner.

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