Publié le par Hélène R. dans les rubriques Amour, Dérivations existentielles, Prose

Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour ?

Alors ça y est comme ça on ne prononce plus l’amour ? On ose à peine se regarder plus loin que la surface parce que ça nous brûle la rétine, on ressasse, on ressasse, mais c’est pas vraiment une armure qu’on s’est construit ça serait plutôt un mur de vase, bien puante et dans laquelle on s’enfonce en se tapotant sur l’épaule, en se disant « t’as bien raison ». Alors ça y est comme ça on est adulte et on pleure plus ? Vaillants et fiers comme des égarés, de ceux qui sympathisent avec une âme et la laisse de côté un peu plus loin, au petit matin, quand la magie a disparu. Ah ça qu’est-ce qu’on est bien protégé, dans ses regrets et dans ses craintes, dans le déni de sa dépression stagnante, c’est sûr qu’on ira loin si on se contente de se survoler nous-même et les autres, l’autre, bel élément de comparaison, belle réflexion de nos contradictions, beau parleur, beau menteur, bel incendie quand d’humeur à faire des bêtises on se projette à travers lui. Alors ça y est comme ça c’était des conneries ? Des fantasmes ou de simples caprices, on est mature maintenant, il faut grandir, sinon on se fera manger par le temps c’est évident. On pense être fort quand ce qu’on fait c’est s’interdire nos ressentis, de la phobie épidermique au sempiternel rejet de l’histoire exclusive, mais qu’est-ce qu’on vit à passer notre vie à fuir et à ignorer le bruit que fait nos désirs ? Tu la sens cette envie en toi qui monte, tu la sens ? Si tu mettais autant d’effort à tes projets que tu en mets à la faire taire, tu serais sûrement plus avancé, si tu osais de temps en temps dire les mots enfouis, inhabituels, les mots interdits qui mettent parfois mal à l’aise, si tu tentais ne serait-ce qu’une fois un geste, un poème, plus qu’un soupir pour exprimer l’amour-haine qui pourrit dans tes entrailles, comme des vieux restes dans un frigo qu’on oublie. Alors crois-moi il s’en passerait des choses, je parle pas de réaliser tes rêves ou de trouver ton idéal, je parle de te sentir en vie, de crever l’ennui et la déprime à coup de hache et d’accueillir en toi la colère, la tristesse, l’excitation et la mélancolie un peu lâche, de te laisser une chance de connaître la fin du film que tu avais écrit et de continuer à courir, longtemps encore après le générique. Et si ? Et si ? Et si ? Essaie ! Eh quoi désormais l’amour c’est un mythe ? Avant c’était notre air pour respirer et c’est devenu en l’espace de quelques années une vaste blague, au mieux un piège à éviter. Tous des experts, parce qu’au final on en a tous souffert, alors on sait qu’il ne vaut mieux pas s’engager, dans aucune voie, on reste là, assis sans bouger, cherchant à élucider le mystère de notre grandissant désespoir, non vraiment on se dit qu’on ne voit pas c’est bizarre… Allez un petit effort, regarde-moi, tu penses trop fort pour que j’ignore le silence de ta voix, dis-moi, dis-moi… Oublie les règles, oublie les barrières érigées au passé, arrête de chercher à prédire les temps futurs, et si tu te trompes c’est justement que tu ne t’es pas trompé, parce que maintenant au moins tu sais que c’est possible d’essayer sans tomber de si haut, sans laisser de sillon trop profond dans un cœur trop solide, sans voir s’effondrer le Monde, alors essaie. Essaie parce qu’à la fin tu seras mort et quand ton esprit s’éteindra il s’éteindra sur ses regrets, dans les jardins luxuriants où il ne s’est pas hasardé, près des épaves et des ruines qu’il n’a pas eu le courage de visiter, sur cette bouche aimante dont il ne s’est pas approché, dans cette existence terrifiante qu’il s’est imaginée cendres, mais qui fut or en réalité.