Publié le par Hélène R. dans les rubriques Dérivations existentielles, Prose
Blow your smoke on the flowers
Assise les bras posés sur les genoux je contemple la mer et c’est tout. Je l’entends s’approcher doucement, chatouiller mes orteils puis partir comme guidée par un souffle profond, comme rythmée par le cœur de la Terre, je la vois s’éloigner revenir et son odeur et sa musique et le vent font que je m’oublie. Enterrés dans le sable les maux s’endorment et je n’ai plus peur face aux yeux de la mer, je dors tranquille bercée d’amour, je ne pense plus je suis et le temps qui s’écoule ne m’attends plus pour s’enfuir. La mer s’étend ne va nulle part et partout à la fois elle voyage immobile elle connaît tous les ports toutes les terres et tous les caprices du ciel, la mer remplit l’espace le conquiert et se rit des hommes minuscules, elle les étouffe et elle les noie sans plus trembler elle les aspire afin qu’ils errent dans son ventre pour l’éternité, parmi les fleurs et les poissons, tous les mystères et les cris déchirants remontant ses entrailles. La mer ne parle pas elle ne livre pas ses secrets, simplement elle observe les hommes à la dérive depuis la nuit des temps, et souffle lasse et vieillie en surface et se rit de cela tout au fond puisqu’elle nous survivra, puisqu’elle recouvrira nos maisons nos enfants et nos rêves, sans regret. Libre la mer devant moi enchaînée bientôt il me faudra rentrer, parce que la faim parce que la soif parce que le froid et la fatigue, il me faudra encombrer de nouveau mon corps qui soudain si léger me paraissait vivant. Je devrais le maintenir debout et fier jusqu’à l’heure de ma fin, je le ferai tenir pour aller voir la mer, chaque fois plus écrasante et immensément belle, la mer et le vent qui la couvre et la Terre qu’elle nous prend, nous barbares nous petits nous ignorants. Je voudrais lui parler je voudrais la comprendre mais elle ne connaît les mots qu’au sein des silences qui les précèdent qu’après les respirations qui les suivent que dans les mouvements qui les miment, et je ne sais pas ce langage ou je l’ai oublié mais je reviens toujours dans l’espoir qu’elle m’apprenne. Forte la mer et sans cris lorsqu’elle se fracasse contre les rochers coupants et saignant de l’écume, elle se relève et repart au combat, elle est le mal qui nous rongera jusqu’au dernier petit pan de terre la mer, elle est la lutte et le courage, mêlée à la patience d’une femme, mêlée au désespoir d’une femme, elle est l’ivresse des grands jours et la mélancolie, les hurlements muets qui brûlent comme le sel sur les plaies, elle est l’ambition des grandeurs invincible immortelle inatteignable, elle est le début et connaîtra la fin après ta mort après la mienne et celle de tous les hommes, et sûrement même qu’elle s’en fichera. Assise les bras posés sur les genoux je m’apprête à quitter la mer, ivre de ses senteur et du vent qui me gifle et fait danser mes cheveux, étourdie par le vertige et le froid que procurent l’infini devant moi, je suis fatiguée, tant que je dormirais bien pour toujours.