Publié le par Hélène R. dans les rubriques Mémoire du corps, Prose
Avant tu riais
Je suis morte, je ne le savais pas. J’ai pensé pouvoir m’endormir et oublier, fumer et boire jusqu’au matin béni enfin où la douleur aurait cessé de frayer son chemin à travers mes artères au rebord de mes yeux aux confins de mon âme, j’ai pensé être un héros que rien ne blesse et continuer sans peine à vivre le non-sens que l’avenir nous propose. Je croyais sans mentir que le souvenir infâme s’enfuirait de lui-même, assaillant sans pitié je le reniais amère car je ne savais pas comment le faire partir. Et pourtant encore aujourd’hui je me souviens comme si c’était hier tard dans la nuit, je me rappelle l’euphorie du chagrin, l’invitation lascive et la vodka. Je me rappelle la détresse infinie qui me poussât ce soir à me mettre à nue devant eux, et dans mon désespoir je ne pus que gémir « allez-vous en ». « Allez-vous en » « Allez-vous en » … Mais « on ne fait que s’amuser » me dirent-ils.
Au matin en haut des escaliers je me laissai tomber, mais arrivée en bas je respirais encore, pas un os de brisé mais le corps insensible et les pensées noyées dans le vague je pensais avoir survécu, le pire était devant moi mais je ne voyais pas devant, tout ce qui auparavant aurait pu s’apparenter à l’enfant ennuyeuse et angoissée que j’étais avait disparu j’étais devenue invincible, je pouvais désormais errer sans peurs et chuter autant que désiré ; c’est une chance hein, de ne rien ressentir ?
Oh je ne sais pas pourquoi je suis venue ce soir, désinvolte les yeux noircis le corps moulé dans une robe à tomber les collants déchirés, le mauvais pressentiment s’évanouit après le dernier verre il m’en offre encore un, je jure je danse je me frotte contre lui ça m’amuse quand je ne comprends plus là où ça me mènera, et il rit avec moi. On s’embrasse mais ce n’est plus le même, sa barbe mal rasée irrite ma peau au-dessus de mes lèvres je titube jusqu’au lit mais je ne sais plus qui je suis qui il est quand j’ouvre sa chemise quand il pétrit mes seins, je ne sais pas où je suis quand il ronfle au matin dans la chambre où gisent éparpillés mes vêtement sur le sol. Je respire j’engloutis il faut recommencer, ce soir encore je sors fraîchement remaquillée la ligne de shooters s’étend sur le comptoir, les barmans me sourient la musique les regards les mains qui se baladent, viens chez moi non chez moi, tant d’hommes prêts à assouvir mes fantasmes de petites morts que de choix et déjà je suis nue et je ne ressens rien, pourtant je cris à m’en déchirer les poumons pourtant je griffe et lui en redemande ; quel était son prénom déjà ? Le matin le métro le sommeil dans le lit les cauchemars. Jeune imbécile regarde les ruines de ton existence sens les odeurs de sueurs sur ta peau, avale un cachet n’y pense plus, ce soir encore tu sors espérer que déjà ton malheur s’essouffle derrière toi.
Danse, danse au milieu de la foule tous les regards sont tournés vers toi personne ne te voit, danse tourne remplis la salle du son puissant de ton rire, tourne tourne en rond répète tes faux pas, les yeux fermés ta peau transpire et tu lèves les bras au ciel comme un appel. Si seulement tu pouvais tomber et te briser la nuque, sous tes paumes tes doigts soulèvent tes cheveux longs, ils te désirent et tu le sais car qui mieux que toi peut savoir ce qu’il veulent. Ils attendent tranquillement que tous tes verres se vident que le tournis t’assoie sur le sol sale et sombre, il n’y que là qu’ils te tendront la main sourires, enfin soucieux de ta solitude. Il n’y a que là qu’ils t’aimeront finalement telle que tu es, bizarrement triste, apeurée sans défense, prête à tout. En attendant danse n’en perd pas une seconde de cette ivresse qui transporte ton corps, de la musique enivrant tes pensées, lève les bras pour dévoiler ton ventre qui rugit, hurle personne ne t’entend. C’est ton royaume qui t’entoure danse pour tes loyaux sujets, montre-leur ce qu’ils veulent, danse ma princesse danse pour eux, laisse les s’approcher près trop près tu n’as plus qu’à choisir ton bourreau. Les yeux clos tu avances déhanchée les yeux noirs tu te masses le visage jusqu’à le déformer, tu te sens bien lointaine c’est la drogue qui commence à monter, ta peau tremblante caresse ta peau légère en a froid de plaisir, sous les extrémités de tes doigts tes lèvres tes narines tes cils si délicats ta gorge jusqu’à tes seins, tu sens les battements de ton cœur de nouveau pour la première fois. Danse, danse au milieu de la foule tu ne les vois pas, danse tourne au rythme de la musique des battements, oublie qu’hier encore tu pensais à partir, ce soir hier n’existe pas, danse ma reine danse pour toi. Lentement tu retires tes vêtements, tu soulèves ton t-shirt tu as chaud, tu arraches tes lacets tes pupilles ébahies la plante de tes pieds sur le sol, c’est maintenant que tu vis. Et si tu avais un sabre, tu les trancherais toutes, ces têtes te dévisagent s’indignent ou ont envie d’en voir plus de toucher, mais tu es seule désormais c’est délicieux d’ignorer qu’ils pourraient t’atteindre, tu les transpercerais s’ils essayaient. Un genoux à terre, tu les frapperais avec toute la force de ta honte tu les enverrais en enfer, tu pourrais aussi bien leur percer les yeux avec des aiguilles leur coudre le nombril scarifier leurs chevilles brûler leurs poils pubiens, mais il faudrait plus encore pour assouvir ta haine, tu pourrais t’arracher tous les ongles un par un te griffer la peau jusqu’au sang taillader ta graisse à la lame de rasoir épiler tes sourcils et percer tes tympans. Si seulement. Si seulement les effets de la drogue duraient plus longtemps, juste assez pour oublier mon manteau et quitter le sous-sol du bar, marcher dans les rues claires du matin épuisée sans amant la mâchoire crispée les fantasmes se meurent, pieds nus sur le trottoir les chaussure à la main, j’espère que je ne croiserai pas ma mère en arrivant.