Publié le par Hélène R. dans les rubriques Amour, Dérivations existentielles, Prose
Lui parler à nous-même
J’ai besoin de te provoquer parce que tu ne me réponds qu’avec des mots pesés, j’ai envie de te secouer pour faire suinter ton agacement au fil des jours, voir si il dissimule au moins un peu d’amour. Je sais je les sens les exaspérations non-prononcées, les mots retenus pour ne pas se blesser, pour ne pas s’impliquer dans une dose trop élevée de délire, ou croire en des féeries qui ne charment que les amoureux du mystère. Tu voudrais me faire croire que rien en ça ne t’attire, que nous sommes bien raisonnables de ne pas nous aimer de ne pas nous mentir, j’aimerais bien te croire oui, mais c’est la poésie qui nous enchaîne aux énergies du monde, sans elle nous dépérissons, l’anarchie nous aspire. Soyons fous de désir, soyons avide de sensations jamais goûtées, envisageons le pire pour ne pas nous retrouver morts dans un salon de culture, dans une carrière finançant l’aventure, soyons plus grands ouverts ensemble partons même sans bouger enivrés, putain soyons vivants. J’ai besoin de te dire que j’ai appris par cœur les excuses qui se tissent au bout de nos frayeurs, je les sais exquisément sédatives nous en faisons quotidiennement les frais à dormir, nous croyons les mensonges qui nous incitent à nous taire par pudeur quand nous devrions les hurler toutes ces peurs, le serrer cet amour pas le suivant inexistant, celui qu’on a à ce moment-même, c’est la seule chose réelle. Prudence aux endormis, prudence est la négation de la vie. En fait on dit n’importe quoi tout pour ne pas y repenser trop le lendemain, on dit ce qui s’accorde le mieux aux règles de la bienséance, de l’opposition ou de la neutralité molle qui anime les timides, on dit ce qu’il faut pour qu’on nous laisse tranquilles pour qu’on nous enterre tranquilles sous des phrases qui font bien. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. J’ai trop peur de mourir dans un corps qui fonctionne, de cocher les bonnes cases pour être dans les normes, j’ai besoin que tu saches que je vais être folle que je vais pleurer sans raison apparente sans le savoir moi-même d’où vient tout ce mal-être, que je vais sûrement boire jusqu’à être bourrée, et dans mon regard flou qui regarde le monde déformé tel qu’il est, tu verras la laideur mes fausses notes ma saleté, tu verras ta laideur tes fausses notes ta saleté et ça vaut mieux que de faire semblant. J’ai besoin de t’inscrire sur ma peau dans mon sang, de nous rattraper chaque fois qu’on se jettera en arrière, chaque fois plus libérés, chaque fois plus à l’écoute de l’instinct de nos doutes de l’agrandissement de nos âmes, même si ça fait parfois mal, allons enfants vers le voyage en oubliant la fin. Allons enfants vers la musique.
photo. Lilly Formaleoni