Qui je suis ?
Qui je suis.
J’ai appris par cœur les idées reçues, les clichés, j’ai déconstruit mon univers pour que tout le monde puisse s’exprimer sur des réalités banales, à peine creusées, aujourd’hui quand je dis « je pense que », je réfléchis bien à la suite, j’ai déjà calculé tous les points sur lesquelles on pouvait me contredire, j’ai peur d’être jugée. J’avais des choses à exprimer avant, de ce temps mort où ma différence était une fierté, je n’étais pas moins souvent seule, le cycle de la vie fait son œuvre que tu sois repliée sur toi-même ou ouverte au progrès, mais j’avais l’énergie folle des adolescents, la terminaison d’une histoire d’amour passionnelle se conjuguait avec le drame et mes objections pouvaient s’appliquer au monde entier. Autrefois déjà j’ai été sans peur. Autrefois déjà j’ai écouté mon cœur avant d’écouter ma raison, mais désormais mon cœur hiberne et j’ai peur de ma raison. J’entends sans comprendre les mots de ceux matures qui vivent comme des trains sur des rails, à regarder par la fenêtre les paysages lointains s’éloigner, j’ai du mal à savoir s’ils ont raison ou si j’ai tort mais qu’il n’y a pas de lien de causalité. Parfois je me range du côté du plus éloquent ou de celui qui parle le plus fort, juste parce que j’ai la flemme d’exister, d’autres fois je me mets à débiter des absurdités sans effort, juste parce que j’aimerais bien qu’il la ferme, sa bouche de connard vantard, et d’un même acte je me supplie de me taire et de cesser d’exister. Pas facile d’être en colère dans une société qui te présente le bonheur comme une nécessité.
Qui je suis.
Je suis trop ou je ne suis pas assez, je suis instable, je suis rongée par la culpabilité, je suis insatiable, je suis bercée par des illusions décalées.
Qui veux-tu devenir ?
Je m’adresse ces mots, aujourd’hui, rien ne change mais toujours évolue. Tu ne vas quand même pas passer ta vie à regretter le bon, à envier le meilleur et à craindre le temps passant lentement si vite qu’on rêve de recommencer toujours ce qu’on n’a pas encore entrepris. Parce que oui il faut le dire, pour penser tu te tais et tu jouis d’un savoir hermétique et plus l’on te qualifie d’incomprise, plus tu souris intérieurement victorieuse parce que tu crois avoir dépassé les cons. Glorifiée par ton intelligence et tes lectures voilà à quoi tu en es désormais réduite et pourtant tu as peur le matin du jour nouveau, de la vie extérieure, des gestes simples du quotidien, mortifiée par la vérités contraires à tes jugements, selon laquelles ceux qui agissent ont bien plus à gagner que toi, même les cons. Ah ça oui tu en sais des choses basées sur tes plaintes et celles de ton entourage, l’empathie gonflée comme une vessie après la bière, tu as tenté d’éponger tant de malheur que tu te sentirais d’être en guerre contre l’humanité et surtout contre toi, parce que tu n’as pas su prévenir l’imprévisible, tu n’as pas su empêcher l’inévitable ni prédire le futur. Mais sais-tu réfléchir ou confonds-tu cela avec le désespoir qui dessert tous et chacun ? D’abord, d’abord, il y a la mort et puis les assassins et les violeurs de femmes et les maladies rares et la précarité, ensuite il y a le mal et les tueurs d’enfants et les boulots d’usines et les drogues et le froid. Alors tu veux combattre tous les maux à la fois, parce que voir un ami, un parent, un inconnu pleurer c’est comme soi-même se tordre et se voir arracher une parcelle infime de notre espoir fragile. D’accord, d’accord, il y a le laid et les larmes ruissellent, mais que peut-on y faire ? C’est la nature humaine.
Oui j’ai subi des choses, des trucs pas cool, des drames, des échecs et surtout des désillusions, mais quand je dis je, je veux dire nous, je veux dire par là que c’est arrivé parce nous avons vécu, parce que là sont les conséquences naturelles de la vie.
Enfin voilà je t’aime quoi, c’est ce que je voulais dire.