Publié le par Hélène R. dans les rubriques Amour, Prose

« Non. » est une phrase entière.

Tu te serais imaginé toi, comme il allait changer de veste et renier le printemps ? À mort les bourgeons des passions naissantes, brûlons les terres fertiles qui voyaient nos promesses peu à peu s’étendre, recouvrons-les d’alcool. Tu l’aurais pas cru sans le lire dans ses yeux d’ivrogne comme il serait capable de se montrer méchant. Abandonné par un bout de sa chair, autrefois il a su être reconnaissant du travail des artères, qui autour pour adoucir sa perte on relayé du sang, d’un cœur ami à l’autre, à l’époque il disait que ça ne faisait pas de différence. Mais ce qu’il voulait c’était un père, de ce qui sont aimants et reconnaissent leurs enfant, ceux qui travaillent, ceux qui s’impliquent, il n’a pas supporté que pour lui ça soit différent. Ces hommes qui se mentent par peur de se retrouver à poil recroquevillés dans des mains, démunis, sanglotant, sans rien, ces hommes-là préfèrent se faire passer pour des pierres que pour ce qu’ils sont : des enfants. Blessés jusque dans leurs entrailles ils se baladent avec des trous pleins le ventre et le torse, alors ils ont mal, alors ils ont froid et plutôt que d’appeler à l’aide ils préfèrent se laisser sombrer dans un océan de mauvaise foi.

Tu aurais pu te figurer qu’un jour il pleurerait à tes pieds en n’éveillant en toi que du dégoût, même plus de peine, que dans son grand manteau d’hiver il aurait cultivé la haine ? Avec ses yeux trempés et son nez plein de morve, ivre mort, il t’aurait supplié de l’aimer encore, il t’aurait fait pitié. Tu aurais voulu lui donner des coups de pieds comme à un chien pour le faire déguerpir, qu’il lâche ta jambe putain. Tu t’es mise en colère ce soir-là mais pour quoi faire ? Puisque le lendemain il s’est réveillé amnésique, blanc comme un linge, délesté de sa vie éphémère, prêt de nouveau à remplir sa journée de bière. Tu as crié tu te souviens contre toi-même essentiellement, contre ton sentiment d’impuissance, tu as gueulé dans le vide le poids qui opprime ta poitrine qu’il ne peut pas entendre, tu lui as dit : « Elle est terminé notre amitié, plus jamais ! Et toi aussi tu m’as abandonnée ! » ; tu as dit : « J’ai changé et je ne reviendrai pas en arrière ! » ; tu as pensé : « Si tu savais combien je te méprise désormais. » Et lui qui se tenait là imbécile, les yeux pleins d’une admiration qui trouve ses origines, dans le roman qu’il s’est écrit pour ne pas contempler les ruines de l’existence qui lui semblait promise.

J’ai pensé à lui hier -pensées amères- j’ai angoissé à l’idée qu’il se pointe dans ma nouvelle ville comme si de rien n’était. Je crains toujours qu’il s’imagine qu’un jour je pourrai sereinement lui pardonner tout ce qu’il m’a infligé de bêtise et d’agressivité. J’ai pensé à la bulle qu’il s’est construite au-dedans de laquelle il rêve à ses réussites, avant d’aller s’écrouler inintelligible dans la rue ou dans son lit. J’ai pensé à l’amour qu’on avait érigé ensemble et à sa folie qui est venue tout détruire. J’ai pensé à toute sa salive quand il ouvrait sa gueule pour m’insulter, pour me blesser, pour m’enterrer sous le poids de sa jalousie. J’ai pensé à comme j’ai été gentille, au début, parce que j’avais du mal à accepter ce qu’il était en train de devenir, comme j’ai voulu l’encourager à s’en sortir. Puis j’ai pensé à tous ses vices qu’il a choisis et à ses yeux qui ont changé de couleur, aux soirs où il a tenté de me faire peur en me soufflant près du visage son haleine imbibée de liqueurs et à toutes ces horreurs qu’il a pu m’asséner sans repentir, alors j’ai tourné la page de mon livre, comme chaque fois un peu moins triste, de le voir s’effacer dans l’oubli. Je me suis endormie.